Cette étude rend compte des vertus et des conséquences du dispositif OAE, tout en considérant les enjeux nécessaires à sa viabilité et sa pérennité. A la fois vecteur d’épanouissement et d’accomplissement, l’OAE modifie également les rapports sociaux et à l’apprentissage. Bien que difficile à évaluer, la portée du dispositif est cependant indéniable : en s’enracinant dans le milieu scolaire, l’OAE vient bousculer des dynamiques complexes, dont il est primordial de comprendre les fondements. C’est ce dépassement qui apparaît comme vertueux, et en lequel l’ensemble des parties prenantes doit croire, afin de donner au projet une ampleur et un essor considérables.
©stephanie-Pelissier_Julien-Bercy
Menée sur 2 ans, entre 2017 et 2019, cette étude a été réalisée à la suite de questionnements soulevés par des enseignants en REP+ sur les bienfaits de la pratique musicale d’ensemble en milieu scolaire. En identifiant la portée des interactions à l’œuvre dans de tels dispositifs, l’équipe de chercheurs a cherché à mieux appréhender la diversité des relations institutionnelles et individuelles qui y sont engendrées. Afin de cerner au mieux la réalité du terrain, les chercheurs ont privilégié la démarche de recherche participative, qui implique un travail interactif avec les différents acteurs étudiés. De cette façon, chaque participant est partie prenante du processus réflexif, et la compréhension des problématiques d’autant plus féconde.
Un projet comme OAE sollicite différentes parties prenantes qui échangent d’égal à égal. On observe donc la création de nouvelles « synergies » entre les différents groupes sociaux, provoquées lors de la mise en place du dispositif OAE et qui perdurent tout au long de sa durée. Le rapport à l’école et entre les différents acteurs en ressort profondément modifié. Mais cette évolution concerne également les bénéficiaires du dispositif. De fait, il y a une modification dans le mécanisme de socialisation entre les enfants, que ce soit entre eux ou avec les adultes. L’OAE sollicite des compétences sociales « qui impliquent autant la sphère intrapersonnelle que celle des relations avec les autres.
Ainsi, en exigeant des interactions paritaires, le dispositif OAE vient modifier le rapport à autrui et interroge fortement le vivre-ensemble, défini dans l’étude comme véritable « pierre angulaire » du projet.
Suivre un apprentissage OAE, c’est également modifier son rapport aux autres apprentissages. Ce constat concerne autant les élèves que les enseignants.
Pour les élèves, la participation à OAE stimule et incite parallèlement à un investissement dans les autres formes d’apprentissage. En sollicitant des interactions corporelles et verbales, en encourageant l’autonomie, les échanges de savoir-faire, et le développement d’une sensibilité particulière, la pratique orchestrale renforce la motivation des élèves et les encourage à s’investir dans les autres matières.
Pour ce qui est des enseignants ou des équipes, on remarque la modification des stratégies pédagogiques (modalités de transmission et d’organisation) : il y a, à travers le dispositif OAE, une réelle prise de conscience de certains mécanismes propres à l’enseignement, et la compréhension plus complète de « ce qui se joue en classe ».
L’apprentissage artistique (ici la musique) inhérent à l’OAE est vecteur d’épanouissement : « la liberté, la pratique de la pluralité, le développement de l’individualité dans le collectif » sont encouragés ainsi que, plus généralement, les « compétences citoyennes » des élèves, comme « l’autonomie, l’esprit d’initiative, l’ouverture aux autres (le vivre ensemble), la capacité à travailler en équipe et le sens des responsabilités ».
Plus particulièrement, le fait de jouer en orchestre et en pupitre d’instruments est « un moment révélateur de prise de risque dans l’exposition à l’autre, d’acception ou du rejet de l’autre, du partage, de la fierté, de la jalousie, de la fragilité de l’estime de soi ».
En somme, le dispositif OAE provoque une évolution et un changement dans le rapport que les élèves entretiennent avec eux-mêmes : l’estime de soi, la confiance, la maturité et le dépassement de soi sont transcendés.
La particularité du dispositif OAE est donc double : non seulement les élèves accèdent à un enseignement musical et orchestral, mais ils développent aussi des compétences annexes. L’OAE véhicule donc un apprentissage à la fois spécifique et transversal.
De plus, l’ensemble des compétences sollicitées sont « exercées en situation dans l’expérience ». Elles sont, sitôt conçues, directement mises en pratique.
En définitive, les chercheurs résument : « l’OAE est un dispositif favorable au développement des compétences scolaires et sociales tout en répondant à son objectif initial : des enfants en difficulté réussissent à saisir de nouvelles portes pour entrer dans le train des apprentissages »
Selon l’étude menée, ni les entretiens avec les enfants, ni ceux avec les parents ne permettent de vérifier un impact du dispositif sur l’aspect social, comportemental et citoyen des bénéficiaires.
Ce constat est cependant à nuancer. On peut, en effet, soulever la difficulté de mesurer un impact fortement personnel et subjectif, difficilement perceptible et le plus souvent intangible. Il est complexe de quantifier de tels changements qui impliquent une prise de recul et une remise en question de certains paradigmes parfois invisibles et très fortement intériorisés.
La question de la temporalité est également à soulever, la durée de 2 ans représentant une période assez brève pour constater de réels changements dans les interactions et les constructions organisationnelles. De plus, si changements il y a, ils ne sont pas forcément flagrants : il n’y a pas de réinvention du système, de changement radical. Les modifications sont en fait progressives, si bien qu’elles annulent les problématiques de départ de façon douce et dissipée : « en somme, il n’y a plus d’enjeux par rapport au contexte de départ et les familles ne sont plus en position de rejet de l’école ».
On peut donc parler d’un glissement, d’un passage fluide d’une situation à une autre, qui permet d’autant plus au projet de consolider ses fondations, et d’optimiser sa pérennité.
Malgré tout, les chercheurs soulignent que « [l’OAE] corrobore un certain nombre de constats (…) notamment dans le réengagement des élèves dans un travail coopératif par la pratique instrumentale collective ».
Enraciné aux écoles, le dispositif OAE vient intensifier les dynamiques présentes en milieu scolaire, qui a pour vertu de faire cohabiter les milieux de chacun, jusqu’à possiblement faire cohésion. En réunissant élèves et enseignants dans une situation nouvelle, l’OAE permet une meilleure appréhension des situations didactiques. Il représente, alors, un levier d’action pour les modifier en profondeur : « en même temps que les apprenants développent une compétence musicale, ils développent un vivre ensemble qui modifie la situation, le milieu didactique ».
Les rapports et dynamiques que l’OAE révèle doivent cependant être pensés et réfléchis, sans quoi le développement des acteurs impliqués ne peut être garanti : « les interactions, les activités engendrées par l’OAE, peuvent garantir le développement des élèves, de tous les acteurs apprenants et enseignants, à condition que chaque acteur du dispositif, et principalement les enseignants, en ait conscience ».
Ainsi, il apparaît important, voire fondamental, que chaque acteur soit convaincu et conscient de toutes les dimensions, valeurs et finalités du projet OAE. Si la portée de ce dispositif est incontestable, le travail et l’investissement de tous sont indispensables à sa réalisation.
Comme il est dit dans l’étude, « si le dispositif OAE améliore le vivre ensemble et le réengagement des élèves dans leur scolarité, il n’assure par leur pérennité. La viabilité du dispositif reste l’affaire de tous : le collectif doit continuer à faire interagir les différents acteurs ».